Erwin Panofsky a écrit:
L'historien d'art [...] devra accepter certains faits fondamentaux ; à savoir qu'une première rupture par rapport aux principes médiévaux de représentation du monde visible au moyen du trait et de la couleur s'est effectuée en Italie à la fin du XIIIe siècle ; qu'un second changement fondamental, qui a commencé en architecture et en sculpture, plutôt qu'en peinture a eu lieu au début du XVe et a entraîné un intérêt intense pour l'Antiquité classique ; et qu'une troisième phase, apogée de tout le développement, qui a finalement synchronisé les trois arts et a temporairement éliminé la dichotomie existante entre les points de vue naturaliste et classicisant, a commencé au seuil du XVIe.


Pendant qu'avait lieu la révolution dont parle Panofsky, loin de l'Italie, les Flandres voyaient le monde avec l'œil nouveau de Jan Van Eyck. Bien que ne possédant pas la théorie nouvellement inventée de la perspective, il ouvrait aux profondeurs l'espace de son tableau, que ce soit la ville de Lyon ou le parquet propret d'une habitation luxueuse reflétée dans l'orbe d'un miroir. Jan Van Eyck inventait aussi les moyens d'un réalisme saisissant, loin, très loin des théories mathématiques des Florentins, dans l'amour approfondi d'un métier : la peinture. Il découvrait qu'en utilisant l'huile comme liant à la place de... l'œuf, la classique "tempera" dans laquelle les Italiens se dépêtraient alors, on obtenait le fameux modelé fondu qui allait faire la gloire de Vinci et porter le clair-obscur à tous les excès dans les mains des Caravagistes. La représentation réaliste qui règle encore aujourd'hui notre vision du monde est donc née en Europe de la conjonction heureuse d'une découverte d'ordre mathématique, la perspective, et d'une autre d'ordre purement matériel, la peinture à l'huile, d'une alliance de l'esprit lucide et aiguisé des Florentins à la patience et à l'obstination des Flamands.