Il faudrait tout de même développer. Si l'anonymat sur Internet, qui est relatif, n'engage rien d'autre qu'un anonyme, il n'en reste pas moins que l'anonyme en question est incarné. Il y a donc un engagement de soi à soi. On peut rétorquer que dans cette situation chacun s'arrange avec lui-même et c'est vrai. Mais ce n'est pas aussi anodin que vous le laissez entendre. Quand on se lâche sur le net, on abandonne cette partie de soi qui, au contraire, a été toujours maintenue dans les codes de la représentation et ce que l'on voulait en faire. Donc ce n'est qu'une facilité apparente car cela peut conduire à un dangereux face à face entre ce qui a été bridé et ce que l'on donne en représentation. Ce n'est pas la même scène, ce ne sont pas les mêmes acteurs, mais cela reste la même personne. Et j'en connais qui ont fait un petit séjour en hôpital psychiatrique pour cette rencontre qu'ils ne soupçonnaient pas. On ne se rend pas compte à quel point l'autre est un régulateur, comme on feint d'ignorer que la découverte de soi-même est une véritable découverte. C'est un face à face qui peut être extrêmement violent. Maintenant il se peut que certains n'aient plus cette rencontre avec les régulateurs mais c'est un autre problème. Tout ça pour dire qu'il y a interaction, même sous couvert d'anonymat, mais d'une autre nature.

Concernant l'anonymat, où est le problème ? Si vous donniez votre véritable identité, cela ne nous apporterait rien et nous en serions au même point. Même au-delà de la virtualité, qui n'en a jamais été une puisque cette virtualité existe depuis que l'homme existe, vous êtes obligé de fantasmer sur l'autre. Prenons un temps où il n'y avait que la rencontre, le portait et le courrier. Une personne rencontrée dans un dîner peut attirer votre attention. Vous échangez vos adresses et entretenez par exemple une relation épistolaire. Il est certain que vous ne vous ferez qu'une idée de cette personne et que vous projetterez sur elle nombre de fantasmes. Même une personne avec qui l'on vit conserve une partie de son anonymat. Alors c'est quoi l'anonymat au-delà du simple emprunt d'un pseudo ? Et peut-il être réellement aboli ?

L'addiction à Internet révèle pour moi l'irrépressible besoin de l'homme à être avec ses semblables. Il en a toujours été ainsi, à de rares exceptions. L'informatique favorise la prise de contact mais ne peut pas remplacer une véritable rencontre où l'interaction est plus prégnante et nous offre beaucoup plus d'informations. On fantasme sur l'informatique, alors que sa véritable révolution n'est pas encore arrivée. Tout le monde parle de virtualité, mais les peintures rupestres appartiennent à cette forme de virtualité sans parler de la pensée et du langage. Alors oui, il y a la facilité du calcul et de nombreuses tâches qui nous prenaient auparavant un temps infini. Mais la nature de ces choses n'a pas été vraiment bousculée. La véritable révolution informatique arrivera – et c'est déjà amorcé, avec la réalité augmentée. Augmenter la réalité ! Et là ce n'est plus de l'anonymat dont nous aurons à parler, mais de beaucoup d'autres choses.