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Les étymologies du Cratyle sont-elles sérieuses ?

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2 participants

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Peut-on prendre au sérieux les étymologies que propose Socrate dans le Cratyle ? L'ironie de Platon perce manifestement quand Socrate se croit inspiré et commence à "rendre des oracles" :

Cratyle, 396d a écrit:
Cette sagesse qui vient de me tomber si soudainement, je ne sais d'où.

Hermogène. — Le fait est, Socrate, que tu m'as tout bonnement l'air, à la façon des inspirés, de te mettre soudain à chanter des oracles.


S'ensuit un persiflage du devin Euthyphron, personnage ridicule qui fait l'objet d'un autre dialogue. Il est donc évident que tout ce que va proposer Socrate comme explications sera hautement fantaisiste. Pourquoi Platon a-t-il voulu se divertir à bon compte sur le dos des poètes ? Sans doute ne croyait-il pas que l'étude de l'origine des mots, de leur formation, de leur histoire, puisse donner autre chose qu'une "opinion droite". Mais en est-il de même aujourd'hui, après que la phonétique a montré que les modifications de la forme des mots obéissent à des lois ?

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Liber a écrit:
la phonétique a montré que les modifications de la forme des mots obéissent à des lois
Pouvez-vous m'en dire plus ? À quoi pensez-vous ? La composition des mots ? La morphologie ? Ou bien, puisque vous parlez de phonétique, est-ce une question qui articule des choses d'ordre physiologique à des choses d'ordre social (impératifs liés à la communication, par exemple) ?

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ЄutΞrpЭ a écrit:
Liber a écrit:
À quoi pensez-vous ? La composition des mots ? La morphologie ?

Les deux. Dans le Cratyle, Platon examine les mots sous ces deux angles. Il y était naturellement amené par la capacité du grec à former des mots composés. On peut lire en 409 c, l'étymologie qu'il trouve à σελήνη : σέλασ-ἕνον-νέον-ἀεί, la lune ayant un éclat toujours nouveau et ancien. Peut-être est-ce aussi une parodie d'Homère ou de la lyrique, ou un amusement comme ceux d'Aristophane ? La forme des mots est traitée avec encore plus de légèreté, puisque Socrate enlève et ajoute des lettres à loisir pour expliquer la différence entre le mot dérivé et le mot primitif.


Ou bien, puisque vous parlez de phonétique, est-ce une question qui articule des choses d'ordre physiologique à des choses d'ordre social (impératifs liés à la communication, par exemple) ?

Ici nous abandonnons le terrain de l'étymologie pour entrer dans le domaine de la philosophie. Pour Platon, les mots ne changent pas suivant des lois phonétiques comme nous le pensons aujourd'hui, mais ils ont été enjolivés par les hommes qui n'avaient aucun souci de la vérité (414 c). Il faut donc absolument connaître les "mots primitifs" pour rendre compte du langage dans son intégralité. Mais comment savoir si les noms primitifs sont vrais ? Faut-il décider qu'ils ont été établis par les dieux, et sont justes par cette seule raison ? Ou qu'ils proviennent des Barbares, dont l'ancienneté interdit de jamais les comprendre ? Quoi qu'il en soit, Socrate affirme qu'il est impossible de connaître les dérivés si l'on ne sait pas quelle est la justesse des noms primitifs. La thèse de Socrate consistera donc à dire que les noms ont une justesse naturelle (ou mieux : qu'ils l'avaient à l'origine), tandis qu'Hermogène ne leur accordait qu'une vérité conventionnelle. Dans la suite du dialogue, Socrate conviendra que les noms sont parfois inexacts.

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L'étude étymologique à laquelle se livre Socrate n'a-t-elle pas une fonction précise à l'intérieur de ce dialogue ? L'idée n'est-elle pas de dire qu'au fond, l'une et l'autre position défendues pour définir la nature du rapport qu'entretiennent les mots et les choses sont aporétiques ? Que le langage soit naturel ou conventionnel, on constate dans les deux cas que nous ne sommes jamais sûrs de la validité de ce rapport : l'enquête étymologique montre que l'origine des mots reste inaccessible (toutes les fantaisies sont possibles) ; l'hypothèse d'un langage conventionnel exige un législateur, quelqu'un qui connaît les choses et, les connaissant effectivement, est à même de les nommer avec des noms exprimant la vérité de cette connaissance, autrement dit la vérité des choses.

Or, le mot n'est qu'une imitation. Il faut donc admettre qu'il dit autre chose que ce qu'il prétend dire ou que ce qu'on prétend lui faire dire (cf. en 422 puis en 429-430). Intuition ou aporie qui annonce déjà le Sophiste, voire la Lettre VII ?

En somme, les fantaisies étymologiques du passage que vous mentionnez n'ont-elles pas une fonction à la fois ironique et iconoclaste, pour montrer que la vraie question consiste à se demander s'il est possible de connaître la chose même (question qui a son pendant platonicien : si nous connaissions la chose même, pourquoi aurions-nous besoin de la dire ? Cf. la 5e et dernière étape de la Lettre VII, qui implique le silence, car les mots ne conviennent pas pour réaliser la connaissance ; la connaissance est incommunicable. Platon version mystique ?).


Dernière édition par Euterpe le Lun 8 Aoû 2016 - 1:39, édité 1 fois

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ЄutΞrpЭ a écrit:
l'enquête étymologique montre que l'origine des mots reste inaccessible (toutes les fantaisies sont possibles) ;

Platon serait étonné de constater les progrès réalisés dans ce domaine. Quoique, quand Socrate suppose que les mots ont une origine barbare, il ne se trompe pas tellement. Beaucoup de mots grecs ne sont pas d'origine indo-européenne, mais issus de parlers locaux, et à ce titre, nous sont encore plus inaccessibles. L'hypothèse même d'une origine indo-européenne renvoie à une sorte de mythe. On ne sait presque rien de ce peuple dont une partie serait venu conquérir la Grèce, ou du moins s'y implanter au milieu des autochtones.


l'hypothèse d'un langage conventionnel exige un législateur, quelqu'un qui connaît les choses et, les connaissant effectivement, est à même de les nommer avec des noms exprimant la vérité de cette connaissance, autrement dit la vérité des choses.

Oui, effectivement, c'est là une critique de la position héraclitéenne, le monde ayant une impermanence qui est au-delà de notre pouvoir. Mais Socrate convient ensuite avec Hermogène que les noms ne sont pas toujours justes par nature. Critique de l'éléatisme, je pense.


Or, le mot n'est qu'une imitation. Il faut donc admettre qu'il dit autre chose que ce qu'il prétend dire ou que ce qu'on prétend lui faire dire (cf. en 422 puis en 429-430).

Le mot est une image, il n'est pas une copie, donc il y a toujours quelque chose d'imparfait dans son imitation, comme dans un tableau. C'est aussi une critique des Eléates qui prétendaient qu'il ne pouvait y avoir de discours faux.

En somme, les fantaisies étymologiques du passage que vous mentionnez n'ont-elles pas une fonction à la fois ironique et iconoclaste, pour montrer que la vraie question consiste à se demander s'il est possible de connaître la chose même (question qui a son pendant platonicien : si nous connaissions la chose même, pourquoi aurions-nous besoin de la dire ? Cf. la 5e et dernière étape de la Lettre VII, qui implique le silence, car les mots ne conviennent pas pour réaliser la connaissance ; la connaissance est incommunicable. Platon version mystique ?).[/justify]

La science selon Platon ne permettrait donc pas d'atteindre la vérité, mais seulement le vraisemblable.
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