Même si cette hormone provoque un attachement, je ne pense pas qu'on puisse pour autant la qualifier "d'instinct maternel", puisqu'un instinct est surtout comportemental : or, contrairement aux autres animaux femelles, les femmes sont dépourvues de ces comportements innés qui permettent la survie de l'enfant dans les autres espèces. Il me semble que le seul instinct qui fasse véritablement consensus chez l'homme, dans la communauté scientifique, est l'instinct de succion. L'instinct maternel reste controversé, d'autant plus que même si une telle hormone pouvait réellement être qualifiée d'instinct maternel, cela voudrait dire que l'instinct maternel cesse avec l'allaitement. Cela ne fait donc que souligner l'artifice social que représente la notion d'instinct maternel telle qu'on se la figure aujourd'hui : un amour profond et non limité dans le temps.
Par ailleurs, que dire de tous ces témoignages de mères qui démentent l'existence d'un tel attachement ? Seraient-elles toutes déficientes ? Depuis la levée partielle du tabou sur ce genre de questions (avec Badinter notamment), on a assisté à une véritable libéralisation de la parole de ces mères qui se sentent coupables, parce qu'elles n'éprouvent pas cet "instinct" maternel qu'elles seraient "censées" éprouver. Il y a d'ailleurs ici un glissement à nouveau, du sens d'instinct comme comportement inné et spécifique à celui d'attachement, glissement qui n'a rien d'anodin.
J'ai trouvé cet article à propos d'un bouquin sur la question, qui a l'air assez sérieux et intéressant, et qui précisément pointe vers la position intermédiaire que vous semblez soutenir Vangelis : un instinct lié à une hormone secrétée lors de l'allaitement, ou à l'odeur, mais qui précisément est extrêmement fragile (surtout en ce qui concerne l'odeur), limité dans le temps, et ne recouvre donc en rien la conception socialisée de l'instinct maternel.
http://www.scienceshumaines.com/y-a-t-il-un-instinct-maternel_fr_2849.html
J'en poste des extraits :
Dans Les Instincts maternels, S. Blaffer Hrdy défend une thèse qui se démarque à la fois du déterminisme implacable des gènes et de la thèse culturaliste, qui fait de l'amour maternel une pure « construction sociale ». Pour l'auteur, il ne fait aucun doute qu'il existe des mécanismes biologiques qui attachent la mère à son petit. Mais ces mécanismes ne sont pas des pulsions aussi implacables que le besoin de manger ou de dormir. Pour passer de la prédisposition à l'amour maternel effectif, il y a une cascade de logiques qui s'enchaînent. Et c'est la complexité de ces mécanismes qu'elle entreprend de décrire.
(...)
L'importance de l'abandon et de l'infanticide suffit à remettre en cause l'idée d'un instinct maternel irrépressible. Certes, les mères qui se débarrassent de leurs enfants ont d'impérieuses raisons : la pauvreté, la solitude, l'enfant illégitime qu'il faut éliminer, le désarroi... La plupart des femmes qui s'y sont résolues l'ont fait la mort dans l'âme. Mais le fait même qu'elles aient cédé à ces pressions sociales prouve que l'instinct ne commande pas tout et qu'on peut lui désobéir. Infanticide, abandon, mise en nourrice, maltraitance... En somme, il ne faisait pas bon être enfant dans les temps anciens. Voilà pourquoi, selon S. Blaffer Hrdy, il a fallu que les enfants déploient des stratégies pour séduire les adultes et empêcher qu'on les rejette. Car l'amour maternel ne vient pas que de la mère : il suppose une intervention active de l'enfant pour se faire aimer. En termes évolutionnistes, plusieurs stratégies de séduction sont déployées par les nourrissons. Il y a d'abord les pleurs et les sourires. Les cris de bébé, tout comme les miaulements du petit chat, provoquent spontanément des réactions de compassion. De même, plus tard, la physionomie du nourrisson : grands yeux, visage rond, petite main potelée sont des prototypes qui stimulent chez l'adulte l'attendrissement. Et ce mécanisme ne touche pas que la mère mais aussi les personnes alentour.
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Cette aptitude des bébés à séduire les adultes autres que leur propre mère remet en cause, selon l'auteur, les analyses unilatérales sur l'attachement. Rappelons que la théorie de l'attachement de John Bowlby suppose que l'enfant éprouve un besoin de contact avec sa mère. Les enfants privés d'affection et de contacts maternels souffrent de graves carences. Or, les études récentes sur l'attachement montrent que certains enfants n'ont pas une attitude aussi dépendante à l'égard de leur mère. Certains remplacent très bien leur maman par des mères de substitution ou d'autres contacts sociaux. S. Blaffer Hrdy s'en prend donc aux conclusions hâtives qui rivent la mère à ses petits au nom de l'impératif de l'attachement.