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Causalité naturelle et liberté chez Kant

Source : CRPure, 2e Division, Livre II, Chap. II, 9e section, III. Solution des idées cosmologiques qui font dériver de leur cause la totalité des événements du monde.

Kant, Critique de la raison pure (trad. Alquié, p. 473 et suiv.)
On ne peut concevoir relativement à ce qui arrive que deux espèces de causalité : l'une suivant la nature, l'autre par liberté.
La causalité naturelle désigne ce qui suit :
Kant
la liaison dans le monde sensible d'un état avec le précédent, auquel il succède d'après une règle.

Tout effet est le produit d'une cause, selon un enchaînement que l'on peut parcourir régressivement à l'infini :
Kant
Or, comme la causalité des phénomènes repose sur des conditions de temps, et que l'état précédent, s'il avait toujours été, n'aurait pas produit un effet qui vient au jour pour la première fois dans le temps, la causalité de la cause de ce qui arrive ou prend naissance a aussi pris naissance et, à son tour, d'après le principe de l'entendement, elle a besoin elle-même d'une cause.
Un "état précédent" désigne une cause ; "ce qui arrive" désigne un effet. Supposons une cause X. Si cette cause, par exemple la loi de la gravitation universelle, existait depuis toujours, s'il s'agissait donc d'un état immuable, elle ne produirait aucun effet, étant entendu qu'un effet désigne quelque chose qui se produit, autrement dit qui n'existait pas avant de se produire. Bref, toute cause X produisant un effet X est elle-même nécessairement l'effet d'une cause l'ayant précédée, une cause antérieure. La loi de la gravitation est nécessairement l'effet d'une cause qui l'a rendue possible. Mais, à son tour, la causalité de la cause, c'est-à-dire "la loi de la liaison causale" (selon l'expression même de Kant à la fin du paragraphe sur la causalité par liberté), autrement dit encore la loi de l'enchaînement des causes et des effets, est elle-même nécessairement l'effet d'une cause permettant de l'expliquer.

La liberté (ou cause par liberté) désigne ce qui suit (p. 474) :
Kant
Au contraire, j'entends par liberté [...] le pouvoir de commencer de soi-même un état dont la causalité n'est pas soumise à son tour, suivant la loi de la nature, à une autre cause qui la détermine quant au temps. [...]. [La] raison se crée l'idée d'une spontanéité qui peut commencer d'elle-même à agir, sans qu'une autre cause ait dû précéder pour la déterminer à son tour à l'action suivant la loi de la liaison causale.
Décidons, à partir d'aujourd'hui, d'agir « de façon telle que [nous traiterons] l'humanité, aussi bien dans [notre] personne que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen. » Cette décision n'est l'effet d'aucune cause pertinente, selon Kant, c'est-à-dire qui vaille la peine qu'on la recherche. Cette décision, prise en raison, est absolument initiale ; elle est un commencement pur. Elle constitue une cause qui produira ses effets ; mais, comme cause, elle n'est elle-même l'effet d'aucune cause antérieure.

Maintenant, qu'est-ce que la raison, chez Kant ? Elle se distingue de l'entendement. L'entendement produit des concepts. La raison produit des idées. Si la causalité naturelle désigne la loi de l'enchaînement des causes et des effets (hétéronomie), dans le cas de la liberté la causalité désigne l'autonomie.

Précisons que l'entendement est par définition incapable de descendre dans une régression à l'infini la chaîne qui relie les effets à leurs causes. Il ne peut pas en faire l'expérience. C'est une impossibilité. Mais du point de vue de la raison, nous sommes libres, autrement dit nous pouvons être une cause première (une cause qui n'est elle-même l'effet d'aucune cause antérieure). Kant parle de commencement. Tandis que dans la nature, il n'y a pas de commencement : tout y est nécessairement l'effet d'une cause antérieure, et ainsi à l'infini ; et, puisque l'entendement est incapable de parcourir indéfiniment une chaîne infinie de causes et d'effets, il lui est impossible de savoir si le monde a un commencement ou pas, ni s'il est infini (illimité) ou fini (limité). L'entendement ne peut forger un concept du monde (appelons-le un "concept cosmologique"). Mais, par nature, la raison est capable de s'en faire une idée ("idée cosmologique"). Or, les idées de la raison débordent, dépassent les concepts de l'entendement ; on ne peut ramener aucune idée de la raison à un concept de l'entendement. Par exemple, on n peut avoir l'idée d'un dieu créateur : on n'en a aucun concept, parce que l'entendement ne peut en faire l'expérience (expérience d'une cause première, c'est-à-dire d'une cause elle-même non causée, inconditionnée, dans le langage kantien). Une idée est un concept sans objet, puisque son "objet" n'est l'objet d'aucune expérience sensible possible ; un concept est une généralité qui unifie en l'organisant le divers de la nature, parce qu'on en peut faire l'expérience. Au début de cette 9e section, Kant précise :
Kant
dans la régression empirique, on ne peut rencontrer aucune expérience d'une limite absolue, par suite d'aucune condition qui, comme telle, soit empiriquement inconditionnée absolument (9e section, I. Solution de l'idée cosmologique qui porte sur la totalité de l'assemblage des phénomènes en un univers)
Traduction : la "régression empirique" désigne le parcours qui permet de redescendre toute la chaîne qui nous mène des effets aux causes. Cette régression n'a aucun terme, aucune fin possible, puisque jamais nous n'avons fait l'expérience d'une limite quant au temps (la naissance ou création du monde, que rien ne précéderait) ou quant à l'espace (le monde est-il fini ou infini ?). Une cause première, autrement dit une cause non causée, qui ne serait l'effet d'aucune cause, désigne une cause inconditionnée. Or, sur le plan de l'expérience possible (sur le plan des phénomènes, sur le plan empirique), une cause première, même en admettant qu'elle existe, est conceptuellement inaccessible. Sauf que la pensée ne se réduit pas au seul entendement, donc aux seuls concepts. La pensée, c'est aussi la raison, donc aussi des idées, notamment la liberté. C'est un produit de la raison. Dès lors, il est rationnel de définir l'homme comme un être libre, pourvu que l'on vise l'universel (l'inconditionné), ce qui a priori (au sens kantien) vaut universellement.